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Le blog de Philippe Bensimon
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5 avril 2008

Les limites du marketing politique — Ethique et démagogie — Loi de rétention de sécurité — Pierre Moscovici — On n’est pas couch

Les lignes qui suivent , volontairement polémiques, sont là pour montrer — peut-être — une des limites du marketing politique : l’éthique des candidats. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, écrivait en 1800 le moraliste Joseph Joubert (ci-dessous) dans ses Carnets. C’est encore vrai. J’ai la chance de ne pas compter aujourd’hui Pierre Moscovici au nombre de mes clients, ce qui me permet de soutenir et d’admirer l’honnêteté de sa prise de position. Même si elle risque de lui coûter des voix. Voici les faits. Joseph_Joubert Le 1er avril, j’ai publié quelques lignes sur l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couchés » du 29/30 mars et son invité Pierre Moscovici. Le député du Doubs s’est fait vivement attaquer par les deux Eric polémistes de service —Zemmour et Naulleau — qui lui reprochent de méconnaître la volonté du peuple, qui réclame des peines plus sévères et de vraies perpétuités pour remplacer la peine de mort. J’avais promis de revenir sur cet incident, loin d’être mineur. On touche là à un problème de fond de la démocratie : les élus sont-ils là pour permettre au peuple d’atteindre ses buts individuels les plus bas — ici, la vengeance coûte que coûte — ou pour protéger les libertés individuelles et l’intérêt général ? 1. Il y a quelques années, une étude réalisée concernant la peine de mort avait montré que tous les condamnés exécutés dans l’Etat de l’Illinois s’étaient révélés par la suite être innocents. Les jurés français peuvent-ils prétendre être meilleurs que leurs confrères américains ? Aujourd’hui, on vient de découvrir que Marc Machin, condamné pour le meurtre d’une femme de 45 ans, ayant toujours clamé son innocence mais dont la condamnation avait été confirmée en appel, est en fait innocent. La justice ne le sait que parce qu’un SDF vient de se livrer à la justice, et que son ADN concorde avec les traces laissées sur les vêtements de la victime. Six ans de prison pour rien. 2. De nombreuses condamnations se font sur la base de témoignages, dont on sait qu’ils sont plus le reflet de stéréotypes que de la réalité. On a prouvé en laboratoire (Durandin 1950) que — un témoignage entièrement exact est tout à fait exceptionnel, — les témoignages reflètent la probabilité estimée par le sujet qu’il ait vu quelque chose, c’est-à-dire ses croyances et ses stéréotypes, — la concordance de témoignages signifie seulement l’existence de stéréotypes communs au groupe, — les témoignages erronés faits de bonne foi sont aussi convaincants que les vrais, — le mouvement et le stress générent dans erreurs dans les témoignages. L’expérience célèbre de Clarapède dans laquelle on fait intervenir un individu gesticulant et braillant des formules peu compréhensibles dans un amphithéâtre genevois est significative : interrogés immédiatement après son intervention, les étudiants se trompent sur sept des onze questions qui leur sont posées. Une majorité déclarent rouge l’écharpe du trublion, alors qu’elle est de couleur beige et claire, simplement parce qu’un révolutionnaire ne peut avoir une écharpe que… rouge. Ainsi, un individu qui s’enfuit dans l’obscurité d’une nuit texane a-t-il un maximum de chances d’être reconnu comme étant un Noir. Il y a donc de grandes chances pour que la guillotine ait mis un terme à la vie de bon nombre d’innocents, et sans doute de nombreuses personnes pourrissent-elles dans nos prisons sans savoir pourquoi, à l’instar de Marc Machin. 3. Avant d’alourdir les peines et d’approuver la rétention de sûreté, il faudrait se demander quel est le but de la sanction. On sait aujourd’hui que : — les lourdes peines ne sont pas dissuasives, — au delà de quelques années de prison les détenus — les innocents comme les coupables — perdent toute chance de se réinsérer dans la société, — même détenus dans de mauvaises conditions, ils présentent un coût pour la société. Que reste-t-il dès lors pour justifier un maintien en détention illimitée qui n’est ni dissuasif ni rédempteur ? La crainte de la récidive ? Les statistiques montrent qu’elle est rare, même si elle est fortement médiatisée. D’autre part, qui est un expert psychologue pour proposer un maintien en « rétention de sûreté » ? Un homme seul, que son professionnalisme rendrait moins susceptible de se tromper qu’un groupe de jurés dont on voit les résultats sur le long terme ? Combien de temps cet expert va-t-il pouvoir passer avec son patient avant de le condamner, sachant qu’une simple analyse demande des années de travail et que l’on manque déjà de personnel compétent pour assurer le suivi psychologique des condamnés ? A l’heure où l’on reproche à des juges professionnels d’avoir libéré un individu qui a récidivé par la suite, il est clair que le où les experts ne prendront que rarement la responsabilité de faire libérer quelqu’un pour se l’entendre reprocher part la suite. Enfin, si l’on fait appel à un avis médical pour déterminer l’avenir un individu, c’est bien qu’on lui reconnaît la qualité de patient. Dès lors, cela veut-il dire qu’on a mis en prison un individu irresponsable de ses actes au lieu de le soigner ? Et si ce n’est pas le cas, si l’individu est conscient et responsable de ses actes, où peut se situer la responsabilité d’un homme pour un crime qu’il n’a pas encore commis, et qu’il a déjà été jugé capable de ne pas commettre ? On assiste ici à la régression d’un droit — et de la société qu’il représente — qui, après avoir reconnu l’impossibilité pour la justice de condamner les irresponsables, aimerait quand même bien se servir de cette notion pour les condamner. Cette fois au nom de la science. C’est d’autant plus grave que la notion de « dangerosité » est floue, subjective, sociétale, étant jugement de valeur fondé sur un corpus de connaissances — médicales et autres — en perpétuelle évolution, et sur le rapport de deux individus : le « patient » et son médecin. En poussant volontairement un peu loin le bouchon, on peut se demander si le désir effréné de sécurité ne poussera pas notre société à éliminer un jour tous ceux qui sont « potentiellement dangereux ». On arrive ainsi à la société décrite par Philip K. Dick dans « Minority report ». Poussé à l’extrême, le désir de sécurité finira par nous tuer. Bref, la seule raison d’être de la « rétention de sûreté » semble bien être la démagogie, et la satisfaction du désir de vengeance des victimes/électeurs. Frustrées du salaire matériel de leur peine, les victimes ne reçoivent plus aujourd’hui que la satisfaction insuffisante de la reconnaissance de leur statut. A défaut d’être indemnisées et de pouvoir faire un deuil serein de ce qu’elles ont perdu, elles réclament toujours plus du coupable : la justice ne peut être atteinte que quand le sentiment d’injustice a disparu, et que la perte est comblée. Faut-il pour autant régresser vers la loi du Talion ? Lorsque les proches sont inconsolables, faut-il dès lors revenir à la peine de mort ? Les véritables questions sont évincées. Quelles peines appliquer, à la fois pour indemniser les victimes et leurs proches de leur souffrance, et garder à l’esprit que la justice est faillible et qu’un condamné est parfois innocent ? Au-delà du désir des victimes et des familles, comment aider le condamné à se réhabiliter et à se réinsérer dans un monde qui a besoin de lui, sachant qu’un individu n’a de valeur pour la société qu’en dehors de la prison ? Voilà les bonnes questions. A côté de cela, les échéances électorales, la médiatisation des affaires criminelles et le vote des « bonnes gens » dont parlait Brassens poussent les politiciens à la démagogie. Où se trouve l’éthique d’un exécutif qui reçoit la famille d’une victime avant même que la justice ne se soit prononcée ? Et dans le même temps maintient ouverts (au nom de quoi, si ce n’est de la prochaine échéance électorale et de la taxe que le pourvoyeur de mort prend sur la drogue) des bureaux de tabac distribuant un fléau dont on sait que chaque année il cause plus de 60.000 morts et coûte une fortune invraisemblable à la société ? Revenons à la loi sur la rétention de sûreté et à Zemmour et Naulleau, reprochant à Moscovici qui en souhaite l’abrogation de méconnaître la volonté du peuple. Il y a des moments où démocratie doit cesser de rimer avec démagogie. Les Français étaient opposés à l’abolition de la peine de mort quand Mitterrand, à peine arrivé au pouvoir, l’a supprimée. De même, beaucoup étaient également opposés au port de la ceinture de sécurité. A des années lumière de distance, sans commune mesure, ces deux mesures méconnaissaient la volonté immédiate du peuple, mais ont sauvé des vies. Créer et maintenir la rétention de sûreté pour faire plaisir à un électorat à la vision déformée par la loupe des médias, là est la démagogie. Plus grave, c’est aussi reconnaître l’incapacité du gouvernement à s’abstraire des sondages pour construire et appliquer une politique à long terme. La réduction des mandats électifs, la fréquence des élections et l’omniprésence du marketing électoral conduisent les politiques à remplacer l’idéologie par l’opinion publique, et sacrifier l’avenir de la société pour assurer leur réélection. Philippe Bensimon
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Commentaires
P
Pour l'ingénu que je suis -mais, quand même, comme beaucoup, un peu esclave de la société dans laquelle je vis-, il m'a fallu attendre la conclusion de votre poste pour en comprendre enfin la totalité : mes vues étaient quelques peu obscurcies et finalement, dans ce débat, il ne s'agit pa seulemnt de prendre partie pour les victimes, mais il faut également ne pas les laisser gros Jean derrière comme devant, thésaurisant jour après jour un sentiment de vengeance encore bien plus dévastateur pour elles. Ne pas seulement s'assurer qu'elles soient indemnisées -financièrement, j'insiste!- mais aussi leur donner l'opportunité de résilience.<br /> Quelle blessure, par exemple, pour des familles de victimes d'un terrorisme d'état de ne pas entendre prononcer le moindre "pardon" de la bouche du coupable.<br /> Parallèlement, il est évident qu'à l'égard des coupables, l'aide à la résilience est tout aussi nécessaire.<br /> <br /> Oui, l'abolition de la peine de mort que j'attribue plus volontiers à Maître Badinter, a pour moi été l'un des rares actes courageux et positifs que j'attribue au gouvernemebt de l'époque.<br /> je ne veux être insultant pour personne, mais une société qui s'articule en termes de "marchés" , de "populisme", et non de ce que j'appelle "Présent ethique du genre humain" -tout simplement l'attitude très "bouddhique"(il ne s'agit pas de "croire", mais "d'observer", puis de "faire") d'Albert Camus dans "Le mythe de Sisyphe" ou dans "La peste" (très actuel avec la Tibet, le Darfour, l'Amazonie, la Zambie- est vouée à sa désintégration.<br /> Je peux me tromper, mais votre poste et le livre de M Moscovi que vous me donnez envie de lire, me fait réfléchir.
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