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Le blog de Philippe Bensimon
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2 décembre 2008

Marketing politique – La bague de Dati, image et réalité. De la peau d'un symbole à l'uniforme d'Arafat

Il y a quelques jours de cela, j’expliquais à des étudiants que la notion de réalité s’estompait devant la croyance. Je leur donnais alors des exemples de simulacres tirés de la fiction (Philip K. Dick en littérature, « Des hommes d’influence » au cinéma), et de la réalité (la visite de Léon Blum dans une église en URSS, les missions d’Otto Skorzeny, etc.), et, après leur avoir fait voir les images d’archives qui ont trompé les téléspectateurs russes sur l’état de santé du candidat Eltsine en 1996 entre les deux tours de sa réélection, je leur ai signalé que, dans un état non totalitaire où les médias ne sont pas complètement contrôlés, ce genre de machination ne devrait pas être envisagé. Mercredi dernier, le Figaro a publié à la une une photo de Rachida Dati prise au Sénat le novembre 2008. Le ministre portait alors une bague en or gris pavée de diamants due au joailler Chaumet, d’une valeur de 15.600 €. Ceux qui suivent un peu la presse étrangère connaissent déjà cette énorme bague, que Dati portait par exemple le 21 juin 2008 lors de sa visite dans la banlieue de Casablanca. Dati_la_bague_avant_apr_sToujours est-il que le Figaro a cru pouvoir, par la magie de la retouche numérique, effacer ce qui aurait pu paraître une insulte lancée à la figure des 2,5 millions d’enfants français qui ne mangent pas à leur faim, et des 100.000 sans-abri qui meurent de froid sur nos trottoirs. La photo ci-contre montre le le site de l'Express publiant les deux images. Motif officiel donné jeudi dernier à l’AFP par Mme Debora Altman, rédactrice en chef du service photo du Figaro : « C'est une erreur d'appréciation, on l'a fait dans le feu de l'action pour éviter que l'attention se focalise sur elle (la bague) » ; « on trouvait qu'on ne voyait que ça (...) alors qu'on parlait vraiment de la grogne des juges. » La rédactrice en chef du quotidien a présenté ses excuses, assurant : « Mme Dati n'a absolument rien à voir là dedans, c'est quelque chose qui ne reproduira plus. » Alors ? Incident clos ? Ca mérite quand même de creuser un peu plus loin. De Pompidou interdisant la publication d’un magazine dans lequel Séguéla le montrait pilotant un hors-bord à Sarkozy faisant retoucher ses « poignées d’amour », on sait que la presse française n’est pas totalement libre. Pire que la censure pompidolienne, il y a l’auto-censure, chacun se demandant ce qui plaira au prince… ou ce qui lui déplaîra. Que les cadres du Figaro estiment que sur la photo originale « on ne voit que ça (la bague) », soit. Regardez bien la photo du site de L’Express reproduisant la une du Figaro et l’original. Je ne trouve pas que la bague masque le visage de Mme Dati. « Erreur d’appréciation. » L’erreur est humaine… Ce qui l’est moins, c’est la volonté délibérée pour un organe de presse de montrer une réalité altérée, corrompue. On n’aime pas la bague ? Hop, on l’enlève. Vous trouvez Rachida Dati trop brune ? Hop, on va lui faire des mèches blondes. Vous la trouvez trop petite derrière Sarkozy ? Hop, on va lui rajouter quelques centimètres. Vous la trouveriez mieux avec un fouet à la ceinture ? Pourquoi ne pas le rajouter… Tout cela est facile à réaliser. A partir du moment où le journaliste commence à déraper, a jouer au démiurge et à vouloir recréer une réalité qui l’arrange, tout devient possible. Où plutôt, rien n’est plus possible. Le Figaro, en un coup de baguette magique, est passé du statut de magazine à celui de roman. Plus aucune confiance ne pouvant lui être accordé. Depuis longtemps, le « c’est vrai, c’est écrit dans la presse » avait pris du plomb dans l’aile. Le « c’est vrai, j’ai vu les photos dans la presse » est en train de suivre le même chemin. Déontologiquement, il est inadmissible de modifier une image sans l’accord d’une personne. Une personne publique vit de son image, et du message que véhicule celle-ci. Je ne mets pas en cause la bonne foi des cadres du Figaro quand ils disent que Mme Dati n’y est pour rien. Ils ont raison de le faire, la plupart des gens pensant en voyant la manipulation que celle-ci n’a pu être faite que sur l’ordre du ministre, alerté par un de ses conseillers sur le caractère un peu trop « bling-bling » de la bague Chaumet. Il n’en reste pas moins que le traficotage de l’image du garde des sceaux sans son accord reste une procédure « limite ». Que croire ? Pour en revenir à nos étudiants, je leur faisais noter le danger de la procédure en l’absence de contrôle total des médias. Il n’a pas fallu 24h à l’Express pour dévoiler l’affaire, et la faire mousser abondamment. Bien sûr, l’opinion publique n’apprécie guère, et l’image de Rachida Dati en prend un coup… beaucoup plus fort que si la bague était restée présente à son doigt. Plus fort que la pub, il y a la pub de la pub ! Maintenant, tout le monde – et pas seulement les quelques lecteurs du Figaro – a entendu parler de la bague de Dati, tout le monde en connaît la valeur, et, pire encore, tout le monde sait qu’on a tenté de la cacher… Notre malheureux ministre n’avait vraiment pas besoin de cela. Juste au moment où les magistrats en colère viennent de signer et de lui présenter une pétition, et où son chef de cabinet vient de lui présenter sa démission. C’est le second dans son genre à quitter brutalement le navire. Peut-être lui non plus n’aimait-il pas les bagues ? Un lecteur du blog de l’Express résume bien la situation : « peu importe la bague, le fond du débat est qu'un journal dans une démocratie indépendante ne peut pas travestir la réalité. Ici le Figaro veut cacher que madame Dati a une bague de plus 15 000 euros. Pour lui donner une image plus "peuple" il bidouille une photo. C'est très grave la presse doit montrer la vérité et ensuite chacun en pense ce qu'il veut . Puisqu'elle a une bague à 15 600 euros et qu'elle la montre , ce journal doit le monter c'est tout. Manipuler la vérité c'est grave là c'est la bague puis quoi demain ??? Chacun est capable de juger si c'est un détail ou pas d'avoir une telle bague sans qu'un journal pense pour nous, à notre place ... » Mais il y a encore plus amusant (!). C’est de se demander à qui le crime profite… Sûrement pas à Rachida Dati. Sûrement pas au Figaro. Mais bien à ceux qui veulent la peau de l’ex-symbole devenu très encombrant… Dernier point intéressant dans cette affaire : la façon de s'habiller n'est pas neutre, mais véhicule bel et bien un message. Il en va bien sûr de même des accessoires de mode. Ce message peut être conscient ou non (j'ose espérer qu'au niveau d'un ministre il l'est), et véhicule entre autres des notions d'appartenance à des groupes de référence, où de désir d'appartenance à ceux-ci. Il est porteur de toute une symbolique, et contribue fortement à la construction de l'image de la personne. En ce sens, l'habit fait le moine. Je vous propose de réfléchir quelques instants sur les tenues vestimentaires de Rachida Dati et de Yasser Arafat. Rabin_Arafat_kinton_at_peace_talks_Oslo130993_libre_de_droits La photo est prise en compagnie de Rabin et Clinton a Oslo le 13 septembre 1993, mais je ne crois pas avoir vu souvent Arafat porter une autre tenue... Son uniforme tout entier, keffieh comprise, vaut bien moins que la bague de Mme Dati, mais le message transmis à son peuple avait alors une tout autre force. En continuant à porter l'uniforme, Arafat lui signifiait clairement qu'il continuait à se battre pour lui, et qu'il n'était pas différent des autres combattants palestiniens. En portant la bague Chaumet, Rahida Dati montre de façon tout aussi claire ce qui la sépare de son peuple et de son administration, et à quoi servent les impôts des Français.
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