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Le blog de Philippe Bensimon
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9 juillet 2015

La véritable crise se trouve-t-elle en Grèce ?

Flag_of_Greece

La véritable crise se trouve-t-elle en Grèce ?

 

La Grèce représente entre 1,3 % du PIB de l’Europe. Cela veut dire que si chaque Français accepte de donner chaque mois 1,3 % de son revenu, les Grecs sans exception n’ont plus aucun besoin de travailler, et peuvent profiter du soleil et des îles, superbes au demeurant. Heureux veinards…

Bien sût, il n’est pas question de dire aux Grecs : « arrêtez de travailler ». Il s’agit simplement de donner au problème sa véritable dimension, c’est à dire rien au niveau de l’Europe.

Soutenir l’économie grecque et permettre aux Grecs de remonter la pente n’est donc pas un réel problème économique. Les Allemands d’Angela Merkel, si prompts à étrangler le petit peuple Grec dans une politique d’austérité intransigeante l’ont été beaucoup moins lorsqu’il s’est agi d’engloutir le grand peuple de la RDA lors de la réunification des deux Allemagnes. Personne ne s’est préoccupé alors de savoir dans quel état était l’économie de la RDA, ni de savoir quel était le poids de la corruption dans cette économie socialiste où tout était contrôlé par la Stasi et le Parti. Que les plus riches aident les plus pauvres, cela allait de soi. Angela Merkel, originaire d’Allemagne de l’Est, semble avoir oublié à quelle idéologie elle doit sa position actuelle.

Le problème grec n’est pas un problème récent. On ne rentre pas en quelques mois dans une crise politique et monétaire aussi grave. La dette de 322 milliards d’euros qui pèse sur la tête des Grecs n’est pas si différente des quelques 2000 milliards d’euros qui pèsent sur la tête des Français et des Italiens : 29.772 euros par habitant pour les Grecs, 31.185 euros pour les Français et 35.124 euros pour les Italiens. La seule différence entre les Français et les Grecs est que les banques françaises et l’Etat français (42 Md€ pour ce dernier) ont beaucoup prêté à l’Etat grec, et ce de façon particulièrement stupide : on a prêté de l’argent aux Grecs pour qu’ils puissent  rembourser leurs dettes, et encouragé un mécanisme interdit à tout particulier pour une simple question de bons sens : la cavalerie. Il est bien évident qu’un prêt destiné à rembourser des échéances d’un autre prêt ne fait qu’aggraver le problème, puisque les intérêts supplémentaires contribuent à augmenter l’endettement de l’emprunteur. Et c’est encore ce qu’on propose aux Grecs : de nouveaux prêts pour rembourser leurs anciens prêts, assortis de plus de mesures d’austérité qui, en renforçant la crise et la pauvreté diminueront encore plus les recettes de l’Etat.

En ce sens, toute proposition demandant aux Grecs de rembourser leurs dettes alors que 40% des Grecs vivent en dessous du seuil de pauvreté, et que 50 % des retraités grecs sont en dessous de ce seuil relève de l’avarice et de la stupidité. « Le Monde » dans son édition du 3 juillet 2015 publie ces lignes édifiantes :

« Aucune statistique ne peut restituer l’ampleur des sacrifices concédés par les Grecs depuis six ans. Certains chiffres aident néanmoins à la mesurer. En 1999, le produit intérieur brut (PIB) par habitant de la Grèce, en parité de pouvoir d’achat, s’élevait ainsi à 24 429 dollars (22 020 euros), selon les calculs de l’institut de conjoncture Coe-Rexecode.

En 2007, il est monté jusqu’à 33 018 dollars (29 765 euros), avant de retomber à 24 564 dollars (22 145 euros) en 2014. « Cela signifie que depuis la crise, les Grecs ont reperdu toute la richesse qu’ils avaient gagnée depuis l’entrée dans l’euro », résume Charles-Henri Colombier, de Coe-Rexecode.

Sur la même période, le PIB par tête de la zone euro est passé de 33 562 dollars (30 257 euros) en 1999 à 37 141 dollars (33 483 euros) aujourd’hui, avec un pic à 38 483 dollars (34 693 euros) en 2007. Malgré la crise, les pays de l’union monétaire affichent donc en moyenne une richesse par tête supérieure à celle de 1999. Seule la Grèce fait figure d’exception, avec l’Italie. « Si l’on regarde froidement les chiffres, c’est un complet retour quinze ans en arrière », se désole Patrick Artus, économiste chez Natixis ».

Pas étonnant que 61,3% du peuple Grec vote non au référendum organisé samedi dernier par Alexis Tsipras.

Surtout, alors que les commerçants n’ont plus de quoi acheter les marchandises pour remplir leurs étals, vouloir lutter contre la corruption (1,2 Md€ l’an passé, chiffres non vérifiés) et la fraude fiscale, un des problèmes de l’Etat grec, est illusoire. Quand l’économie « propre » ne marche plus, le dernier refuge est l’économie souterraine, ne serait-ce que pour que les maigres revenus échappent au fisc. Payer le fisc est le luxe de ceux qui en ont les moyens. Les Français se souviennent-ils de l’époque ou le Roi pressurait les plus pauvres, et de l’image qu’avaient les préposés à la perception de l’impôt sur le sel, les gabelous ? Ont-ils oublié que l’un de nos meilleurs fromages, le reblochon, est issu de la rebloche, la seconde traite des vaches, une fois que les percepteurs de l’Etat étaient passés dans les fermes ?

La pauvreté engendre la fraude, quand elle devient nécessaire pour survivre. Exiger de la Grèce de nouvelles mesures dans ce domaine en même temps qu’un surcroît d’austérité est un non-sens.

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Le seul qui l’ait compris semble être le regretté Dominique Strauss-Kahn, sorti de sa retraite pour dire la seule chose intelligente entendue ces jours-ci du côté européen : il faut repousser aux calendes grecques (plusieurs dizaines d’années) le remboursement des dettes grecques, et donner au pays les moyens de se redresser. Autrement dit donner aux gens les moyens de vivre, de consommer, d’investir, de produire et de payer des impôts. Et cesser de forcer l’Etat grec à se séparer de ses richesses et de ce qui pourrait lui rapporter de l’argent (ses ports par exemple), ce qui ne fait que l’enfoncer un peu plus dans la crise. Un ancien premier ministre belge a je crois adopté une position similaire depuis quelques jours. Le problème est que DSK comme cet ancien premier ministre sont des « ex », aujourd’hui remplacés par des gens foncièrement incompétents ou animés par une volonté qui n’est pas celle de résoudre le problème des Grecs.

L’incompétence de la classe politique a été montrée par Arnaud Montebourg, ex-ministre de l’économie obligé d’aller ensuite prendre des cours dans une école de commerce pour apprendre comment gérer une entreprise. Christine Lagarde, forte de ses succès à la tête d’un grand cabinet de juristes américains, aurait peut-être du aussi rester dans son domaine de compétence.

Cela dit, la compétence ne suffit pas, il faut encore la volonté.

 

La volonté

En cela la crise grecque n’est que la partie émergée de l’iceberg, qui est la crise de l’Europe en tant que telle.

Rappelons en préambule que tous ceux qui vivent en Europe  connaissent une période de paix sans précédent sur le continent. Hormis les habitants des pays de l’ex-Yougaslavie, victimes de l’incapacité des Etats européens à prendre des décisions face à un génocide se déroulant à quelques kilomètres de leurs frontières, aucun adulte européen de moins de 70 ans n’a connu la guerre dans son pays. Cela grâce à la vision de deux hommes, De Gaule et Adenauer, qui ont réalisé que la seule solution pour arriver à cela était de passer du concept de pays indépendants à celui d’Europe unie. Ce mouvement fédérateur qu’ils ont lancé et auquel nous devons aujourd’hui notre prospérité s’est fait de façon lente mais continue : CECA, CEE, UE avec création des institutions européennes, un Parlement, une Cour Européenne de Justice, les traités de Maastricht et de Lisbonne, une monnaie unique, une Banque Centrale Européenne, une Politique Commune de Sécurité et de Défense dotée de moyens d’action, etc.

Aujourd’hui, il ne manque plus qu’un pouvoir politique fort et supra-national pour arriver à ce à quoi tend naturellement l’histoire : les Etats Unis d’Europe.

La question ne se pose même pas de savoir si c’est une bonne où une mauvaise chose : pris indépendamment, aucun des pays d’Europe n’a une puissance économique suffisante pour pouvoir faire entendre sa voix face aux grands pays que sont la Chine, les Etats-Unis et la Russie. Et aucun des pays d’Europe ne pourrait survivre en fermant ses frontières et en refusant de commercer avec le monde extérieur.

Bref, le mouvement fédéraliste initié dans les années 50 est nécessaire, car l’Europe est nécessaire. J’entendais récemment une viticultrice vilipender l’Europe, qui n’avait pas su instaurer un protectionnisme suffisant à son goût dans les marchés viticoles. C’est oublier d’une part que le protectionnisme a enfoncé les USA dans la crise de 1929, et d’autre part que, sans l’Europe, qui pourrait instaurer ce protectionnisme tant souhaité ? La France en tant que telle ? Pourrait-on envisager avec lucidité la fermeture de nos frontières, sans une riposte immédiate des pays dont nous avons besoin ? Et que deviendraient nos agriculteurs sans la PAC, tant décriée ?

Aujourd’hui, le problème grec nous met face au problème de l’Europe. Veut-on revenir à une Europe des Etats, déchirée les vieux fantasmes hégémoniques, le souverainisme et les partis populistes qui font croire aux peuples qu’ils vaincront « parce qu’ils sont les plus forts » ? Déchirée aussi par des politiciens qui tremblent à l’idée de perdre des postes obsolètes et le pouvoir qui leur est associé ?

Ou bien veut-on aller vers l’avenir, c’est à dire le fédéralisme à l’américaine ?

Dans un Etat fédéral, tous les Etats membres sont solidaires ; et en cas de problème économique dans l’un d’entre eux, la question est : comment le résoudre ? Et jamais : comment faire pour s’en séparer ?

Ces dernière années, les USA ont connu des soucis avec un de leurs Etats les plus riches, la Californie, dont le Gouverneur Schwarzenegger a plombé gravement les finances. Je n’ai jamais entendu pour autant parler de discussions entre les gouverneurs des autres Etats, ou au Sénat ou à la Chambre des représentants, envisageant la sortie de la Californie des Etats-Unis d’Amérique, pas plus que son retour au Peso. Négocier avec les Grecs en leur imposant leur sortie de l’Euro, c’est très grave. En dehors d’une absurdité géopolitique (la Grèce, frontière naturelle de l’Europe, est au contact direct des problèmes issus des Proche et Moyen Orient), cela veut dire que dans l’Europe actuelle il n’y a aucune solidarité entre les Etats, et que ceux qui ont des difficultés ne peuvent pas compter sur l’aide des plus riches. J’espère que dans cinquante ans, lorsque l’Allemagne, victime des vicissitudes de l’histoire, sera peut-être en difficulté, des Etats qui seront alors sortis des leurs, comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal, feront entendre leur voix pour hurler haro sur le baudet et réclamer la sortie de l’Allemagne de la zone Euro. En effet, pourquoi aider des Allemands en difficulté plutôt que des Grecs ?

Marine Le Pen a bien compris la chose, et à l’instar de l’extrême-droite au Parlement Européen se félicite ouvertement de la sortie de la Grèce de l’Euro, qui préfigure l’explosion de l’Europe tout entière. En effet, nul n’étant à l’abri du besoin, la Grèce fera figure d’épouvantail devant des Etats et des peuples qui se diront : pourquoi financer aujourd’hui une institution qui nous laissera tomber demain ?

D’autre part, si l’Europe laisse tomber la Grèce, quelle crédibilité garderont les dettes souveraines des pays face aux créanciers qui financent leur endettement ?

Les pays les plus fragiles et les plus endettés (Italie, etc.) risquent de se voir attaqués et de voir exploser les taux auxquels ils empruntent. Au-delà de 7%, aucun Etat ne peut survivre…

Pire encore, le retour à la Drachme qui prendra au moins six mois posera des problèmes et on verra se créer une économie parallèle en Euros, dont les Grecs auront beaucoup de mal à se défaire par la suite.

 Bref, laisser tomber la Grèce et les Grecs au nom d’un jusqu’au-boutisme ridicule – j’ai entendu de nombreuses personnes affirmer avec le plus grand sérieux : « les Grecs doivent payer leurs dettes » - c’est avant tout laisser tomber l’Europe et tout ce qu’on a commencé à construire depuis la seconde guerre mondiale.

Les Grecs eux-mêmes l’ont très bien compris : les 61,3 % d’entre eux qui ont voté « Non » lors du référendum organisé par Alexis Tsipras n’ont pas dit « non » à l’Europe. Ils ont seulement dit « Non » aux mesures d’austérité réclamées par l’Eurogroupe, qui les plongent dans la récession depuis des années, non à la stupidité de ceux qui ont choisi de les humilier (à ce sujet, bravo à l’Eurogroupe pour avoir imposé le limogeage du ministre des finances Grec, sans doute coupable d’avoir trop bien défendu son pays). Les Grecs ne veulent pas sortir de l’Euro ni de l’Europe, seulement que l’on cesse de les affamer.

Pour finir, il est intéressant d’entendre les membres de l’Eurogroupe reprocher à Alexis Tsipras l’organisation de ce référendum et dire que « cela rend les choses plus compliquées ». Plus compliquées pour quoi ? Pour étrangler les Grecs ? Cela révèle la volonté des créanciers de l’Eurogroupe de récupérer leur argent à tout prix, au mépris du peuple Grec et de ses intérêts. Les cris d’un seul ministre, fût-il premier, sont plus faciles à étouffer que ceux de tout un peuple… Pauvre Europe…

 Ph Bensimon

 Crédit photo : DSK en 2007, © Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons

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